Même s’il se satisfait de la signature de l’accord conventionnel de mars dernier et de l’élan qui s’est levé autour de la création des CPTS, le Professeur Stéphane Oustric, Président du Conseil de l’ordre des médecins de Haute-Garonne, s’inquiète du manque de recul et de vision que certains professionnels de santé, médecins notamment, ont à l’égard des Communautés professionnelles territoriales de santé qu’ils sont en train de mettre en place ou auxquelles ils participent. Selon le médecin toulousain, une attitude assez répandue qui manque de maturité envers cette réforme en marche !
MÉDECIN D’OCCITANIE. Médecin généraliste, vous avez créé la Maison de santé pluriprofessionnelle universitaire La Providence à Toulouse où vous exercez. Une MSPU à partir de laquelle vous avez participé à la création d’une Communauté professionnelle territoriale de santé qui compte déjà plus de 100 professionnels. Pensez-vous que l’objectif de 100 CPTS en Occitanie à l’horizon début 2021 peut être tenu ? Que pensez-vous de ce démarrage ?
PROFESSEUR STEPHANE OUSTRIC. Nous sommes, nous médecins, placés devant un choix majeur à un moment particulier : faire du volume et de la quantité d’actes sans régulation ni coordination ou faire de la qualité partagée ?
Parler de la qualité à notre niveau, c’est poser une autre question : avons-nous vraiment réfléchi à la mission de ces communautés qui est de réunir le plus grand nombre de professionnels autour de parcours de santé pour répondre aux besoins réellement exprimés et attendus des patients avec des stratégies de territoires ? Cette réflexion n’est pas facile à mener.
Nous devons penser à ce qui pourrait être fait dans une CPTS et quel choix de thème de parcours sur notre territoire ? Et combien de parcours par CPTS ? Et quelle organisation du fonctionnement de ces CPTS ?
À titre d’exemple, sur notre CPTS présidé par le Dr Michel Combier, nous nous interrogeons depuis longtemps : allons-nous construire un parcours autour de la santé de l’enfant, de la santé de la femme, de la santé mentale, autour d’actions de préventions et dépistages, autour de maladies chroniques et lesquelles ? Nous voulons rassembler tous les professionnels qui le souhaitent pour agir avec et pour les patients. Il va falloir impérativement structurer tous ces parcours dans nos pratiques, dans la coordination et grâce notamment à des dossiers médicaux, si divers et diffèrents selon les acteurs et les fournisseurs de logiciels, de façon réfléchie et partagée. Aussi l’élément moteur de ces CPTS, contrairement à ce que certains professionnels pourraient penser, n’est surement pas d’obtenir un gain financier supplémentaire. Il est avant tout conçu pour le patient et le professionnel, et sur un territoire bien défini. Il s’agira, pour le professionnel, d’optimiser un accès aux soins et à l’avis médical, faciliter le temps de travail de chaque professionnel en réduisant la charge administrative, et fluidifier effectivement le parcours de santé entre les différents recours et établissements. Il s’agira, pour les patients, probablement, de mieux exprimer leurs attentes et de mieux appréhender les contraintes des professionnels sur le territoire. La place des médecins est majeure, centrale et non négociable.
MÉDECIN D’OCCITANIE. Alors comment faire ?
PROFESSEUR STEPHANE OUSTRIC. Pour cela, et d’une manière générale, il va falloir se réunir vite entre acteurs responsables, professionnels et patients, et institutionnels (ARS-URPS-Ordre), pour établir non pas une règle inhibante mais une charte de bonnes pratiques régionales valorisante et libératrice des énergies et des acteurs de territoires. D’une manière plus spécifique, il faut développer la coordination et son organisation territoriale, développer l’utilisation des outils partagés notamment numériques, et enfin faire en sorte que tous les acteurs disposent des mêmes informations avant de pouvoir donner une réponse, en un temps précis de manière structurée donc évaluable. Par expérience, je sais que cela ne sera pas simple. Prenez le cas d’un patient lombalgique, professionnels et patients devront se mettre d’accord sur les mêmes référentiels et les mêmes recommandations professionnelles, sur la même organisation temporelle avant la réalisation d’une imagerie, avant la mise en place d’éventuel soins de kinésithérapie ou de prescription médicamenteuse… Il y aura de nombreuses résistances aux changements tant coté professionnels que coté patients. Le fonctionnement des CPTS devra être là pour faciliter l’activité professionnelle, l’explication et l’information aux patients, et l’optimisation du parcours de soins. Toute cette démarche devra être tracée et traçable, évaluable et opposable.
Les CPTS devront aussi offrir des moyens pour créer, tester et développer des outils numériques de facilitation de travail en commun. Pour cela, les CPTS devront embaucher des coordonnateurs de parcours, vrais facilitateurs d’intelligence territoriale. Elles devront vérifier les conditions d’un meilleur travail co-construit et respectueux de tous, personnes, patients, professionnels, établissements et institutionnels. Mais qui dit travailler mieux ensemble, peut dire aussi travailler plus. Quand on lit l’accord conventionnel interprofessionnel du 21 août 2019, nous comprenons que l’augmentation quantitative de l’accès aux soins (médecin traitant, soins non programmés, télémédecine) est un préalable non négociable. Il ne faut donc pas se tromper. Certains médecins paraissent très excités à l’idée que les CPTS seraient synonymes de gain financier personnel, et surtout qu’ils pourront exercer dans le périmètre territorial qui leur convient. Un petit périmètre territorial, confortable à un petit nombre de professionnel, serait une erreur et sclérosant. Quand nous évoquons, par exemple, au sein de notre métropole toulousaine comment nous devrions envisager la forme des CPTS, nous pouvons imaginer qu’il faudra justement suivre beaucoup de patients et leur famille, en proximité et en population générale. Il nous faudra probablement agir sur des territoires de plus de 180 000 habitants et non pas gérer son petit quartier, son petit pré-carré de 10 à 20 000 Habitants. Cette échelle est maintenant celle de la MSP. Une CPTS à peu d’habitants ne mène à rien en dehors de territoires ruraux particuliers, de territoires de montagne ou démographiquement difficiles et particuliers. En dehors de ces cas précis, il s’agirait d’un protectionnisme mal placé. C’est là où l’on perçoit le biais ou la limite initiale à la création de cet ACI et des CPTS. à emprunter cette direction collectivement nous serions vite rattrapés par l’histoire à venir. Le regroupement, l’organisation et la coordination, voilà l’essence même de la CPTS. Ceux qui veulent des CPTS de petites tailles personnalisées sur des grands territoires et qui pensent les créer ainsi, dans une démarche autocentrée, se trompent. C’est la raison pour laquelle je pense que nous manquons aujourd’hui, sur ce sujet, de maturité collective et de discernement. Il est nécessaire de changer de paradigme et de se demander comment organiser en confiance sur un territoire, le recrutement de patients autour du parcours en santé : il faut réfléchir sur l’origine géographique des patients qui viennent dans nos cabinets et qui vont dans les structures de second recours, des établissements publics ou privés. Alors on se rend compte que le territoire de la communauté est beaucoup plus vaste qu’un simple petit quartier. A ce titre, la CPTS est une chance pour les GHT. Ils devront s’interconnecter et non s’opposer.
MÉDECIN D’OCCITANIE. Le pari des 100 CPTS en Occitanie semble bientôt gagné. Cette première étape sera vraisemblablement réussie. Ne craignez-vous pas que l’on déchante au cours de la deuxième étape ?
PROFESSEUR STEPHANE OUSTRIC. Les professionnels qui affirment avoir créé une CPTS n’ont pas encore signé un accord conventionnel interprofessionnel. Ceux qui ont des MSP ou des centres de santé ont déjà signé, pour la plupart, un ACI. C’est un contrat particulier avec l’Assurance maladie, qui nécessite de la rigueur et de l’organisation administrative. Nous ne sommes pas forcements prêts à faire cela car nous sommes médecins et notre métier n’est pas celui-là. Pour autant, nous devons être leader, sans détour, du mécanisme organisationnel et décisionnel. Une période transitoire de construction et d’appropriation du fonctionnement et de l’organisation territoriale, d’environ deux ans, est prévue par la CNAM et par son directeur, Nicolas Revel. Ce dernier a certainement eu la volonté que cela fonctionne en mettant les moyens financiers. Mais, à nouveau, il ne s’agira de financer, de payer les professionnels. Cette construction professionnelle doit se faire également, ou enfin, avec les personnes, les patients et les associations de patients. Cela constitue le changement majeur auquel les médecins ne sont pas foncièrement habitués. Cette démarche doit être accompagnée et co-construite par des professionnels dûment formés dont c’est le métier, afin de garantir l’alchimie du travail en collaboration et en coordination entre tous les professionnels de santé, entre tous les types d’établissements, entre le sanitaire et le social. Ce sont les coordonnateurs des parcours de santé. Vous imaginez donc bien que pour réaliser tous ces changements et s’approprier une méthode et des moyens d’organisation et de fonctionnement, il faudra du temps. J’imagine aisément qu’il faudrait au moins 18 à 24 mois pour définir les parcours avec tous les acteurs, se mettre d’accord entre professionnels, rencontrer les associations, créer les outils médecins, les outils patients, les outils établissements, et mettre en place toutes les procédures.
Il faudra embaucher des coordonnateurs pour aider à structurer le système. Là encore, une veille ou une vigilance institutionnelle devra être mise en place en lien avec la faculté de médecine de Toulouse (lieu de formation de ces coordonnateurs depuis six ans) et les acteurs institutionnels au premier desquels figurent les URPS et les Ordres. Comment pourrez-vous embaucher une coordinatrice ou un coordinateur, équivalent temps plein, dans une CPTS dont la population ne dépasse pas les 40 000 personnes et la subvention de fonctionnement ne dépasse pas les 50 000 €, sachant qu’il faudrait au moins 2 ETP. Les échelles de financement ne sont pas cohérentes. Il faudra donc prendre dans la totalité du budget afin d’assurer la réalité de l’action et du fonctionnement territorial. Beaucoup de médecins n’ont pas cette vision-là, ils attendent de suite de l’argent pour eux-mêmes. Cet argent n’est pas fait pour ça. Les professionnels se paieront sur l’activité de soins qui va changer.
Propos recueillis par Luc Jacob-Duvernet