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Entretien avec Michel Davila, directeur général de l’Assurance Maladie de Haute-Garonne

La pratique libérale est une pierre angulaire du système de la santé, selon Michel Davila, directeur général de l’Assurance Maladie de Haute-Garonne. Et le grand argentier des soins toulousains n’oublie pas de préciser que cette pratique représente le plus haut poste de dépenses. Aussi rien d’étonnant à ce que Michel Davila estime nécessaire que l’URPS et l’Assurance Maladie travaillent en partenariat sur le sujet de l’innovation et des organisations innovantes. Loin de toutes querelles, cette collaboration doit être plutôt empreinte du saint principe de la confiance.

Quelle place la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), qui exerce une mission de service public en matière de santé, accorde-t-elle aujourd’hui aux pratiques libérales dans l’exercice médical ?

MICHEL DAVILA. Une place centrale, en raison même de son positionnement historique et ancien dans le champ des conventions nous liant avec toutes les professions libérales. La pratique libérale intégrée à la thématique Soins de ville est aujourd’hui une pierre angulaire de notre système de santé et elle représente le plus haut poste de dépenses : les soins de ville équivalent à 91,5 milliards d’€en France dans le plan ONDAM 2019. Les difficultés rencontrées par la profession dans l’exercice de la médecine de ville se rattachent plus largement aux problématiques de l’organisation des soins de premiers recours : il s’agit de concilier les sollicitations des patients, la demande de soins, avec les conditions d’exercice des personnels soignants et médecins. L’objectif de Ma santé 2022 consiste à décloisonner la médecine de ville libérale, hospitalière ou encore médico-sociale :  à ce titre, l’Assurance Maladie accompagne les nouveaux installés et les porteurs de projets de structures pluri professionnels, et veille à une bonne fluidité et une meilleure articulation ville-hôpital. Sur le seul département de la Haute-Garonne, six nouveaux projets ont été créés en moins de 2 ans et 16 autres sont en cours d’élaboration : un parcours « MSP », expérimenté en 2017, consiste, au-delà de l’accompagnement du porteur de projet et du suivi de l’Accord Conventionnel Interprofessionnel (ACI), à mettre en lien les différents services de la CPAM pour faciliter la mise en œuvre du projet (CIS, DAM, LUP* et service prévention).

Pour développer la médecine générale en particulier sur les territoires en tension démographique, outre la création en 2019 de 400 postes de médecins généralistes à exercice partagé entre la ville et l’hôpital (salariés par un centre hospitalier de proximité ou un centre de santé), Ma santé 2022 évoque le développement de postes d’assistants médicaux pour libérer du temps médical aux médecins, permettant d’augmenter significativement le nombre de consultations sur les territoires, soit environ 15 à 20 %.

Aux médecins qui se plaignent d’un « contrôle permanent et pesant » de l’Assurance Maladie, que répondez-vous ?

M.D. D’abord que nous n’avons pas le droit d’ignorer ce ressenti, même si nous le percevons comme décalé avec nos intentions. Ensuite, et compte tenu de l’inflexion de la politique que nous avons à cœur de mettre en œuvre, je parlerais davantage d’accompagnement, plutôt que de contrôle, un mot chargé, qui renvoie une image très normative. Cela se traduit par des actions concrètes en direction des acteurs de santé dans tous les moments de leur vie professionnelle : à travers les visites des Délégués d’Assurance Maladie (DAM) et la mise à disposition de nouveaux outils, l’Assurance Maladie entend faciliter au quotidien la pratique médicale par une meilleure compréhension des dispositifs.

Je rappelle que les relations entre l’Assurance Maladie et l’ensemble des professionnels de santé ont été construites sur le principe de la confiance (le déclaratif), et ce principe n’exclut pas la mise en place de contrôles du respect de la réglementation : en la matière, la CPAM de la Haute Garonne a mis en place une politique de régulation graduée afin de privilégier l’approche pédagogique, tout en contribuant à réduire le coût de la non-pertinence des soins par la mise en œuvre d’actions d’information, de formation, de supervision et d’incitation à l’évolution des pratiques. C’est notamment le cas sur les thématiques d’arrêt de travail ou de transport, par exemple. Ne perdons pas de vue que le contrat qui nous rassemble, nous lie, est plus fort que ce qui peut nous distinguer ou nous opposer.

L’URPS d’Occitanie s’est engagée pleinement dans le développement d’organisations innovantes sur son territoire. Parmi les objectifs qui sont assignés à l’Assurance Maladie, celle-ci doit contribuer à la transformation du système de santé et accompagner l’innovation en santé. Dans ce cadre, quelles opérations de partenariat menez-vous ou envisagez-vous de mener avec les membres de l’URPS ?

L’URPS et l’Assurance Maladie travaillent en partenariat sur le sujet de l’innovation. L’Assurance Maladie accompagne l’ensemble des porteurs de projets pouvant relever d’un financement en lien avec le fond d’innovation nationale (art 51) : il s’agit avant tout d’identifier les projets innovants, d’apporter notre expertise technique sur la conduite et l’évaluation de projet et d’expliciter aux porteurs de projets les axes d’amélioration. Les projets présentés à l’Assurance Maladie sont étudiés en lien avec l’ARS, notamment dans le cadre de l’article 51 de la LFSS 2018 qui permet de tester de nouveaux modes de rémunération. Parmi les projets en cours de réalisation, j’insisterais sur la réussite du parcours en santé mentale expérimenté depuis cette année en Haute-Garonne : ce projet   de prise en charge par l’Assurance Maladie de séances de psychothérapies n’aurait pu connaitre un tel succès sans l’étroite collaboration entre l’Assurance Maladie et l’URPS : 239 médecins généralistes impliqués et 2200 patients pris en charge depuis mars 2018 !

En outre, la CPAM de la Haute-Garonne encourage le développement de l’exercice pluri professionnel et tous les modes d’exercice coordonné ; elle apporte également son expertise à l’appui des projets de création des structures pluriprofessionnelles ou de Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), en particulier dans les zones en tension démographique. Au-delà de l’exercice en structure pluri professionnelle, il s’agit également de promouvoir la coordination pluriprofessionnelle, au travers des dispositifs favorisant une meilleure organisation, notamment territoriale, comme les Équipes de Soins Primaires, les Communautés Professionnelles de Territoire en Santé, voire dans une certaine mesure les Plateformes Territoriales d’Appui.

Les travaux communs CPAM-ARS dans le département de la Haute-Garonne devraient permettre de co-construire une feuille de route avec les professionnels et les élus sur la problématique de la démographique médicale, devant aboutir en 2019 à la création d’une journée d’échanges entre les acteurs de santé du territoire (professionnels de santé, institution, élus, société civile).

Les services de la CPAM s’investissent également sur le champ de la formation des professionnels de santé aussi bien sur son versant initial que continu, en se rapprochant des facultés et des écoles pour investir des modules d’enseignement afin de sensibiliser les futurs professionnels sur les sujets de régulation. Enfin, un appel à projet sera lancé par la Caisse au dernier trimestre 2018 pour la remise des premières Médailles d’Innovation en Santé.

De votre poste, qui est aussi un remarquable balcon d’observation, quelle analyse faites-vous sur la relève à 5/10 ans ?

M.D. Cette relève médicale nécessite en effet que l’Assurance Maladie appuie les transformations, notamment numériques, et s’adapte aux innovations en privilégiant les rencontres avec les acteurs de santé du territoire. Nous ambitionnons ainsi d’être un partenaire à l’écoute d’interlocuteurs aux aspirations fortes et aux pratiques diverses. L’exercice en activités coordonnées est largement plébiscité par les jeunes internes faisant le choix de l’activité libérale :  le développement des structures pluriprofessionnelles, de nouveaux modes d’organisation devrait replacer le soin au cœur de la pratique médicale. Cette dimension est désormais pleinement intégrée dans le développement des outils que nous mettons à disposition des professionnels de santé.

De façon plus générale, quel est l’avenir du soin en Occitanie, à partir de la Haute-Garonne dont vous avez la charge ?

M.D. L’offre de soins est particulièrement diversifiée sur la Haute-Garonne et en Occitanie, et l’enjeu pour l’Assurance Maladie consiste à s’adapter à cette singularité territoriale. En Haute-Garonne, la diversité d’offre de soins en établissements public et privé ne doit pas masquer une réalité plus complexe : la forte attractivité toulousaine pose aussi la question du coût induit pour les transports médicaux, avec des déplacements de plus en plus nombreux de patients vers Toulouse.

La mise en œuvre du Groupement Hospitalier de Territoire (GHT), nous le pensons, devrait permettre de réguler, voire d’optimiser l’offre d’ici à quelques années.  Concernant la médecine de ville, nous constatons que les problématiques de démographie médicale ne sont plus limitées à quelques bassins de vie du Sud du département mais concernent l’ensemble du département (y compris la ville de Toulouse).

Sur ces questions, la CPAM de la Haute-Garonne s’investit en lien étroit et rapproché avec l’URPS, le CDOM et l’ARS à la mise en œuvre d’un premier colloque visant à réunir l’ensemble des acteurs concernés (professionnels de santé, établissements, collectivités locales, mode de l’entreprise) pour construire ensemble les alternatives à la désertification médicale.

Propos recueillis par Luc Jacob-Duvernet

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