Dans son nouvel ouvrage « Abolir la contention », le psychiatre Mathieu Bellahsen décrypte les conséquences de la « culture de l’entrave » sur la psychiatrie, défendant le fait que « la contention n’est pas un soin » et appelant à « questionner collectivement cette pratique ».
Le Dr Mathieu Bellahsen, alors chef de pôle à l’établissement public de santé Roger-Prévot de Moisselles dans le Val-d’Oise, est à l’origine du signalement qui a conduit à la visite, en mai 2020, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté CGLPL à l’EPS. A l’issue, le CGLPL avait produit une recommandation en urgence dans laquelle il pointait des « privations de liberté injustifiées et illégales » résultant d’une « confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique » et le confinement sanitaire. Dans la foulée de ce signalement, le Dr Mathieu Bellahsen s’est vu retirer la chefferie de pôle.
Mathieu Bellahsen, aujourd’hui en disponibilité de ses fonctions de praticien hospitalier, travaille actuellement dans un bureau d’aide psychologique universitaire en banlieue parisienne. Il est l’auteur de « La santé mentale » (La Fabrique, 2013) et coauteur avec Rachel Knaebel de « La révolte de la psychiatrie » (La Découverte, 2020). Il a répondu aux questions d’APMnews.
INTERVIEW
APMnews. Vous inscrivez la contention en psychiatrie dans une culture plus générale que vous appelez « la culture de l’entrave ». Qu’entendez-vous par là ?
Mathieu Bellahsen. La culture de l’entrave, ce sont les idées reçues, l’imaginaire social, toutes les pratiques qui font que l’on contraint les gens dans leurs mouvements sans même s’en apercevoir. Il y a aussi dans cette culture des rapports de pouvoir. Elle a une forme bien particulière en psychiatrie, que je nomme le système contentionnaire. Et cette culture n’apparaît pas comme telle : le corps psychiatrique, qui va des tutelles (ministère, ARS, directions d’hôpitaux) jusqu’au lit du malade avec les médecins, psychologues, infirmiers, aides-soignants, baigne dans cette culture sans le savoir, et il est impossible d’envisager d’autres cultures possibles. Ils sont imprégnés de la culture de l’entrave.
Votre livre sort à un moment où l’on débat beaucoup autour de la contention, où les pouvoirs publics essayent de trouver des solutions pour réduire ces pratiques…
Il y a le discours, et puis il y a les actes. Dans le discours, on dit « il faut encadrer légalement la contention ». Mais à chaque fois qu’il y a des questions prioritaires de constitutionnalité, qui obligent les pouvoirs publics à légiférer sur l’isolement et la contention en psychiatrie, le débat politique, clinique, social, sur la réduction de la contention n’a jamais lieu. La seule thèse de mon livre est de dire que la contention n’est pas un soin.
Mais n’avez-vous pas l’impression que le « corps psychiatrique » comme vous l’appelez, est conscient de la nécessité de réduire ces pratiques ?
J’ai l’impression que c’est l’inverse. On banalise cette mesure. On se dit qu’on ne peut pas faire sans, et on affirme que c’est un soin.
Certains professionnels disent qu’ils ne peuvent pas faire autrement parce qu’il n’y a pas assez de personnel.
L’argument des moyens est nécessaire mais pas suffisant. On peut avoir des moyens et avoir des pratiques de ségrégation. La question est de savoir comment on fait, individuellement, collectivement, pour accueillir autrement la grande souffrance humaine, accueillir ce qui est un peu étrange et étranger. On n’y est pas tellement aujourd’hui… Les mentalités se referment, l’extrémisme augmente. On construit des murs partout, on craint son voisin de plus en plus. Forcément, la psychiatre est traversée par ce climat sociétal et sécuritaire, et la contention pose moins de problèmes.
On associe toujours contention et isolement. Est-ce, selon vous, la même problématique?
Non, pas du tout. Il y avait des chambres d’isolement dans tous les secteurs où j’ai travaillé, j’y avais recours et je prescrivais des mises à l’isolement. La différence, dans la pratique, c’est qu’en isolement, la personne peut se lever, déambuler, est libre de ses mouvements physiques, dans un espace limité. Elle n’est pas dans une asymétrie totale [avec le soignant]. Pour moi, l’isolement est ce qui va permettre que du soin soit possible quand la personne est tellement mal que sa relation à autrui est impossible ou très peu possible. La chambre d’isolement va permettre de s’apprivoiser réciproquement. Alors qu’au contraire, la contention ne permet pas le soin, mais va l’entraver encore plus.
Dans votre livre, vous faites des préconisations pour réduire l’usage de la contention en psychiatrie. Quelles sont celles que vous souhaitez mettre en avant ?
La mesure la plus simple : les pouvoirs publics, nationaux et internationaux, doivent dire que la contention n’est pas un soin. Ensuite, il faut que l’on ait une approche de la psychiatrie fondée, réellement, sur le droit des usagers, et pas juste avec un encadrement légal de façade. En matière de recherche, il faudrait s’intéresser aux mesures de contrainte les plus fortes que sont la contention et l’isolement, ce qui n’est pas suffisamment fait. Il faudrait un observatoire de ces pratiques où les personnes concernées puissent témoigner.